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Attentats de Paris: Comment les organisateurs d'événements avaient réagi

Attentats de Paris: Comment les organisateurs d'événements avaient réagi

22 mars 2016

Les événements tragiques qui avaient frappé Paris ont impacté le monde français de l'événementiel. Agences d'événements, annonceurs, assureurs, avocats, organisateurs de salons, entreprises de sécurité, mairies et services police… Les parties prenantes avaient fait le point en janvier dernier. 

À la suite des attentats survenus à Paris en novembre dernier, le gouvernement français avait décrété l'état d'urgence pour plusieurs mois. Le pays n'en était pourtant pas à sa première mesure. Dès janvier 2015, le plan Vigipirate avait effectivement été déclenché à la suite d'une série d'attaques terroristes perpétrées à Paris. Si ce plan de vigilance accrue dans les espaces publics a un caractère contraignant, l'état d'urgence décrété en novembre dernier va plus loin, puisqu'il permet aux autorités d'appliquer des mesures d'interdiction en matière d'organisation d'événements.

Philippe Tireloque, Conseiller 'Police' auprès du cabinet du préfet de Police de Paris, a recadré les implications de ce régime: "Pour nous, policiers, l'état d'urgence est avant tout un dispositif juridique de gestion de crise, qui nous procure des moyens particuliers pour faire face à cette crise. Il faut savoir que la constitution française prévoit en fait trois niveaux de gestion de la crise: l'état de siège, l'article 16 de la Constitution (qui donne les 'pleins pouvoirs' au Président, ndlr) et l'état d'urgence, ce dernier étant le moins restrictif des trois. Ce régime augmente néanmoins les pouvoirs des autorités civiles, et lui fournit notamment des pouvoirs d'interdiction qui peuvent porter sur la tenue d'événements ou de réunions dans l'espace public."

L'instauration de l'état d'urgence au mois de novembre a directement modifié les relations entre organisateurs, donneurs d'ordres et pouvoirs publics. Une modification positive… 

"A partir du moment où l'on organise un événement sur la voie publique, il y a forcément un dialogue avec les services de police," poursuit Philippe Tireloque. "Ce dialogue s'est naturellement resserré ces derniers temps mais sans être trop contraignant, je pense. Sur Paris, nous avons seulement interdit trois événements - deux concerts et un spectacle de cirque -, et ce dans les jours qui ont directement suivi les attentats. Il est vrai que d'autres événements ont aussi été annulés, mais ces décisions ont généralement été prises par les organisateurs eux-mêmes, du fait de la nécessité de renforcer la sécurité privée. Par contre, nous avons tout fait pour revenir à la 'normale' au plus vite, notamment en vue de la COP21 qui s'est tenue à la mi-décembre. Le dialogue entre les parties a toujours été présent mais il prend désormais en compte quelques aspects supplémentaires, notamment en termes d'évaluation de la menace, car la situation d'une journée est évidemment susceptible de ne plus être valable le lendemain, par exemple. En tous cas, l'état d'urgence a eu le mérite de renforcer le dialogue entre les organisateurs et la préfecture de police."

Frilosité des assureurs?

En matière de risques, les événements de novembre ont signé une véritable 'cassure' dans l'appréhension des risques liés aux événements. Au point de modifier les couvertures de risques des organisateurs? C'est la question à laquelle a tenté de répondre Laurent Couard, directeur Special Lines de Tokio Marine Kiln.

"Les événements de novembre ont souligné que l'événementiel comporte un risque intrinsèque, mais aussi un risque beaucoup plus contextuel: un risque extérieur qui peut toucher non pas un mais une multitude d'événements. Pour nous, assureurs, notre première réaction a été de nous tourner vers les réassureurs pour examiner les capacités qu'ils pouvaient nous offrir pour mieux réagir et mieux gérer un cumul de risques. Notre deuxième réaction a été d'analyser avec beaucoup plus de rigueur les risques que prennent les assureurs. Aujourd'hui, les assureurs ont adapté leurs politiques de souscription, de manière à pouvoir continuer à assurer les risques inhérents aux événements, sachant que l'on ne peut plus assurer les risques comme on le faisait hier. La couverture 'attentat' couvre encore et toujours le site d'un événement, avec une extension qui peut s'étendre aux abords. Dans ce cadre, je conseille aux souscripteurs de bien examiner la notion de périmètre couvert par rapport au lieu de l'événement."

L'événement reste-t-il donc assurable ou ce coût devient-il exagéré?

"Le grand problème auquel nous faisons face est la notion de menace," poursuit Laurent Couard. "Prenons par exemple le risque de l'annulation d'un événement suite à une menace d'attentat. Aujourd'hui, le risque d'attentat sur la France est désormais réalisé. La menace étant présente, elle ne peut donc plus se couvrir. Ce que l'on peut encore faire, c'est analyser les risques au cas par cas. Nous continuons de toute façon à travailler avec les réassureurs pour pouvoir continuer à financer d'autres annulations demain, malgré une menace et un risque réalisés."

Et en cas d'annulation par un client?

"Le principe de l'assurance repose sur l'aléa et le fait extérieur à l'assuré. Si l'assuré décide d'annuler son événement de manière unilatérale, sans en être contraint par les autorités, il ne peut pas y avoir de garantie," conclut Laurent Couard. "Par contre, si l'organisateur est couvert contre le retrait d'autorisation ou s'il doit faire face à un attentat imminent contre lequel il s'est assuré, sa police le couvrirait. Cette dernière fonctionnerait également si l'organisateur recevait une menace extérieure directe. Ça pourrait par exemple être le cas d'un organisateur de défilés de mode qui recevrait une lettre de menace à son attention personnelle…"

Sécurité et responsabilités

Jean-Luc Lemarchand, président de Stand Up, société spécialisée dans la sécurité événementielle, est pour sa part revenu sur les modifications apportées à la politique de sécurité des événements. Un commentaire très attendu à quelques mois de l'Euro 2016…

"Dans notre domaine, on différencie plusieurs types de métiers dans l'événement, qui vont par exemple de 4 pour les salons à 8 pour les stades: du contrôleur des billets aux stadiers, aux renforts pelouse et au protocole, en passant par l'inspection visuelle et la palpation. Aujourd'hui, la demande de personnel de sécurité a explosé alors que le nombre d'agents est très limité. En France, la sécurité représente 170.000 agents, et il en manque désormais de 30 à 50.000, particulièrement en Ile de France. Notre société a également été impactée à plusieurs niveaux, le premier concernant le contrôle de nos effectifs. En Ile de France, nous avons ainsi demandé à nos dirigeants de revérifier toutes les identités de nos agents, notamment en collaboration avec les pouvoirs publics, et resserré nos procédures de recrutement." 

Depuis 1995, la sécurité sur les sites événementiels doit être assumée par les organisateurs, non pas par les forces de l'ordre, "ce qui doit vous faire prendre conscience que la sécurité doit être budgétée," a souligné Philippe Tireloque. "La sécurité est un élément à intégrer dans les budgets, mais aussi dans les mentalités." D'autant que "sur le plan juridique, la responsabilité de l'organisateur se déplace," arguera ensuite Maître Jean-François Vilote. "Aux yeux de la doctrine et de la jurisprudence, la sécurité était traditionnellement une obligation de moyen. Or, elle devient de plus en plus une obligation de résultat."

Paris anxiogène?

Renaud Hamaide, directeur général d'Exposium, l'un des grands organisateurs de salons de l'Hexagone, a lui aussi fait face aux répercussions des événements de novembre, et plus particulièrement à l'attitude des exposants et visiteurs de ses salons.

"Les conséquences du 13 novembre ont essentiellement pesé sur Paris, moins sur la province. Nous avons immédiatement constaté qu'un certain nombre de personnes ont pris peur de Paris, non seulement à l'étranger mais aussi en province. Sur le plan événementiel, cette situation s'est traduite par une baisse de fréquentation à Paris et un statuquo en province, mais aussi par la délocalisation d'événements vers la province au détriment de la capitale."

Mais les salons continuent… avec d'autres dispositifs de sécurité?

"On s'est bien sûr basés sur les événements du 13 novembre pour revoir un certain nombre d'éléments," poursuit Renaud Hamaide, "notamment pour éviter les phénomènes de concentration de personnes entre la voie publique et les billetteries. Notre deuxième réaction a été de consulter les préfectures locales pour balayer l'ensemble des mesures de sécurité prises ou à prendre, et je dois dire qu'elles ont été de très bon conseil. C'est d'ailleurs un dialogue qui se poursuit dans le meilleur intérêt de tous. Il faut dire que sur certains salons, des exposants se sont présentés avec des huissiers pour vérifier que toutes les mesures de sûreté avaient été prises."

Mesures symboliques, dissuasives ou efficaces?

Thierry Reboul, président de l'agence d'événements Ubi Bene, se demande si le renforcement des mesures de sécurité sur l'espace public n'a pas un effet plus symbolique qu'efficace: "Pourquoi deux personnes au lieu d'une… si ce n'est pour pouvoir courir à deux plutôt que tout seul après quelqu'un?" 

Un doute que Philippe Tireloque a rapidement balayé: "On a besoin de capteurs sur le terrain, et on a besoin de les démultiplier. Ne serait-ce que pour faire remonter l'information d'une situation anormale et y réagir au plus vite. Il se peut qu'une caméra de surveillance soit défaillante, que certains lieux soient insuffisamment protégés,…  Ces capteurs ne doivent pas être hyper nombreux mais ils doivent être suffisamment formés pour détecter tout de suite une anomalie, y réagir ou la communiquer au plus vite. C'est ce qui explique notamment la présence policière et militaire accrue dans certaines villes."

Arnaud Peyroles, PDG de l'agence de communication Idéactif, s'est défendu du caractère accidentogène des événements: "Un événement n'est pas un danger. Ce qui est dangereux aujourd'hui, c'est de vivre en France. Tout ce qui s'est passé en 2015 le prouve: il ne faut pas participer à un événement pour être en danger. Il suffit de travailler, de penser, d'exprimer un point de vue, voire de faire ses courses. En 15 ans d'événement, j'ai vu passer des services de déminage sur mes sites et vu s'installer des tireurs d'élite sur des toits, tout cela en parfaite concertation avec les autorités. Ma conviction est donc qu'on est plus en sécurité sur un événement grand public que parfois en se promenant dans la rue."

Et les annonceurs?

Si les entreprises et les annonceurs ont naturellement été touchés par les événements de novembre, leurs réactions ont été assez cohérentes. Le gel des événements s'est imposé aussi rapidement qu'il s'en est allé.

Frédéric Bedin, Président de Hopscotch Global PR Group: "Les deux premiers jours, la plupart des événements ont été gelés, ce qui était assez sain comme réaction. Certains events, surtout festifs, ont été annulés dans l'urgence, alors que d'autres – à caractère professionnels - ont été maintenus. Dans la semaine qui a suivi, nous avons réuni tous nos clients pour lesquels nous devions organiser des événements, et avons tout mis sur la table. Va-t-on maintenir ou non un événement? Et qu'allaient penser le personnel, les journalistes, les clients dans un cas comme dans l'autre? D'un autre côté, une annulation massive aurait donné raison aux terroristes. Très vite, pratiquement tout le monde s'est mis d'accord pour maintenir les événements. Aujourd'hui, les événements sont revenus, mais pas toujours sous la même forme. On constate moins d'événements grand public en extérieur. Les séminaires et événements d'entreprise revivent comme avant, mais adoptent parfois d'autres formats, comme celui d'une réunion à 200 que l'on diffuse sur internet. Certains formats sont donc repensés, mais il reste le problème des événements venant de l'étranger, qui sont déplacés de France vers d'autres pays. De ce point de vue-là, on peut être heureux d'avoir maintenu la COP21, où la France a démontré qu'elle était capable d'organiser un événement mondial dans des conditions de sécurité parfaites."

Dans le public, un directeur d'agence a embrayé sur son expérience: "Les événements de novembre ont déclenché une vraie réflexion parmi les entreprises sur la manière de réunir son personnel ou ses managers. C'est une vraie responsabilité pour eux: réunir 1.000 ou 1.500 personnes… et si jamais il se passait quelque chose? Ce n'est pas forcément l'événement qui est dangereux, mais si jamais…??? Les annulations et reports qu'on a enregistré dans les quelques jours qui ont suivi sont donc très compréhensibles. Aujourd'hui, on constate notamment que les grands groupes préfèrent organiser des événements dans leurs bâtiments plutôt qu'à l'extérieur. Une autre tendance, qui concerne surtout les entreprises implantées sur l'ensemble du territoire, consiste à éviter les grands événements nationaux au profit d'une série d'événements locaux de plus petite taille. Tout ceci nous pousse évidemment à réfléchir sur l'évolution des formats, et certaines entreprises y ont déjà trouvé des avantages qu'elles n'avaient pas avant. Troisième remarque: les annulations et reports qui ont eu lieu étaient davantage causés par le côté anxiogène de Paris plutôt que par l'existence même de l'événement."

Pour Julien Carette, président de l'agence Havas Event, les événements de novembre et leurs impacts psychologiques ne devraient pas avoir d'influence sur les événements. "Nos métiers impliquent une certaine capacité à voir et rencontrer les gens," commente-t-il. "Et le fait de se rencontrer implique que les discussions s'animent et vivent, ce qui est beaucoup plus difficile d'obtenir par des moyens dématérialisés."

Sur cette part du numérique dans l'événement, Frédéric Bedin a réagi en expliquant qu' "on peut actuellement s'interroger sur l'à-propos de l'organisation de 10 événements de 100 personnes au lieu d'un seul de 1.000 personnes, mais il se pourrait que l'on revienne à ce dernier type d'événement, qui procure un effet de masse. Et les grands événements continueront de toute façon d'exister, car l'événement est le contenu de l'Internet. Si on ne crée plus d'événement, il n'y aura plus rien sur le web. Et si l'on considère les grands événements, qui intéressent tous les médias, on s'aperçoit qu'il était par exemple moins dangereux d'être au Stade de France plutôt que de dîner à une terrasse de café."

Évolution des événements grand public

Stéphane Fievet, Conseiller artistique et Chargé des grands événements à la Mairie de Paris, a subi l'onde de choc mais constate que sa ville s'est très vite remise debout: "Paris, c'est 2.000 événements sur l'espace public, dont 500 à caractère commercial. Pour la ville, tous ces événements sont des préoccupations majeures en termes de gestion et de vie de la cité. La période post-attentats nous a vite amené à la COP21, avec ses consignes et ses dispositifs de sécurité draconiens. Ce n'est pas pour autant que nous avons découvert les questions de sécurité. Les mesures prises dans le cadre de la COP21 n'étaient pas vraiment différentes de ce qui existait auparavant, mais elles ont fait l'objet d'une plus grande rigueur. On ne vit donc pas dans la peur mais dans la vigilance. Ce que je tiens ici à souligner, c'est que les questions de sécurité sont des responsabilités qui concernent chacun, et que ces responsabilités doivent être partagées avec les autres. À l'aube de 2015, la célébration du Nouvel An avait rassemblé 600.000 personnes sur les Champs-Elysées. Pour ce genre d'événement, le dialogue sécuritaire entre la ville et la préfecture était évidemment intense. Après les événements tragiques de novembre dernier, nous nous sommes évidemment demandé si nous allions maintenir ces festivités. Pour la Maire de Paris, il était néanmoins fondamental de ne pas reculer devant la menace et d'affirmer que "Paris est debout". Debout mais vigilante, et disposée à garantir la sécurité de tous. Je terminerai en disant que beaucoup d'événements ont été annulés à la fin de l'année dernière, plus pour des raisons psychologiques que sécuritaires, d'ailleurs. On était effectivement en droit de s'interroger sur l'organisation d'événements festifs alors que la France pleurait ses morts. Mais aujourd'hui, en janvier, on constate une augmentation de 25% des demandes d'espace publics pour des événements."

Pression

Après avoir souligné le fait évident que la sécurité des événements corporates est nettement moins complexe que celle des événements publics de grande ampleur, mais aussi du caractère social des événements grands public et des perspectives de l'Euro 2016 tout proche, Denis Biard, coprésident de LÉVÉNEMENT, a conclu le débat en trois points: "Si on revient dans le passé, notre métier a souvent été mis sous pression. On a connu la crise économique, la crise financière et d'autres crises encore, on nous a dit qu'on serait sacrifiés avant de réémerger. On s'est aperçu tout récemment que les événements qui ont d'abord été gelés dans les premiers jours ont été ramenés pour des raisons de liens sociaux dans les entreprises, de business à faire pour les sociétés, et donc on s'est aperçu qu'on était un métier fondamental. Dans un premier temps, on a annulé des événements pour protéger les gens. Or, tous les témoignages qu'on a entendus ce soir montrent que l'événement revient et revient plus fort. C'est une grande fierté de voir que notre métier est souvent mis à contribution mais qu'il revient toujours (…). Notre métier prendra de plus en plus de parts dans la société de demain, et cette tendance est confirmée par une série d'acteurs, publics et privés, qui n'ont pas spécialement intérêt à le faire. Tout simplement parce que notre métier est producteur de valeur..."